Accompagnement psychosocial en déficience intellectuelle et itinérance : des liens qui soutiennent et qui stabilisent

Les personnes accompagnées par Milos – psychoéducateur spécialisé en déficience intellectuelle et en itinérance à Montréal – ont toutes deux points en commun : celui de vivre ou d’avoir déjà vécu en situation d’itinérance et celui d’être catégorisées comme ayant une déficience intellectuelle.1 Les personnes ainsi catégorisées ont souvent un parcours marqué par des ruptures et des abus relationnels, par des problèmes de santé physique et mentale, par la dépendance, et par la pauvreté, l’isolement et la précarité résidentielle (Ellem et al., 2013; O’Connor et MacDonald, 2008). Elles peuvent éprouver des difficultés particulières à prendre du recul par rapport à leur situation, à déceler les intentions malignes chez autrui et à évaluer les conséquences probables de leurs gestes. Elles sont ainsi particulièrement vulnérables à l’exploitation physique, sexuelle ou financière, ou susceptibles de se faire convaincre de consommer des drogues ou de s’engager dans la criminalité, précipitant ainsi leur arrivée en situation d’itinérance (O’Connor et MacDonald, 2008; Picard et al., 2011a; Picard et al., 2011b). L’ensemble des difficultés personnelles et sociales associées à la déficience intellectuelle, croisées avec celles associées à un faible revenu, entraîne une surreprésentation de ces personnes parmi les personnes en situation d’itinérance (Curateur public du Québec, 2008) et parmi les personnes judiciarisées et incarcérées (Ouellet et al., 2012).

Leurs limitations font aussi obstacle à l’acquisition d’un emploi et les personnes accompagnées par Milos dépendent donc financièrement des prestations de l’aide sociale et des revenus du travail informel : généralement la quête, la collecte de consignes et la petite criminalité pour les hommes et le travail du sexe pour les femmes. Elles ne sont ainsi pas nécessairement «dans la rue», bien qu’elles en aient toutes fait l’expérience. En effet, l’itinérance n’est pas un phénomène statique ou linéaire : elle s’apparente plutôt à un cycle au cours duquel les personnes font des aller-retour entre le logement et la rue, ayant à jongler entre leurs différents besoins de base avec un budget restreint (COH, 2012). Plusieurs personnes accompagnées font donc face à une situation de précarité de logement – généralement associée à la précarité financière, alimentaire, et relationnelle – plutôt qu’à l’absence complète de logement. 

Dans un tel état de précarité, les personnes sont particulièrement vulnérables aux imprévus. Par exemple, le décès d’un membre de la famille peut contraindre à un déménagement improvisé qui peut précipiter un retour à la rue si la personne n’a pas les ressources personnelles ou financières pour gérer ce déséquilibre temporaire. S’ensuit alors un enlisement progressif dans de multiples problématiques associées à l’itinérance, rendant d’autant plus difficile un retour en logement : par exemple, entre autres, perte de réseau social, problèmes de santé physique et mentale et consommation. La plupart des personnes accompagnées se retrouvent ainsi à la rue suite à une incapacité temporaire à se maintenir en logement. Elles sont d’ailleurs particulièrement vulnérables à ces dégringolades, car elles ont rarement accès à un réseau qui puisse les soutenir sur les plans matériel, émotionnel ou financier lors de phases difficiles.

En l’absence d’un réseau de proximité soutenant, les réponses sociales à leurs difficultés particulières relèvent généralement des institutions de derniers recours – police, hôpital, prison – avec lesquelles elles ont tendance à avoir des contacts fréquents ou épisodiques (Ouellet et al., 2012). Faute de services appropriés, ces institutions sont souvent impuissantes devant la complexité et la multiplicité de leurs problèmes et peuvent les renvoyer à la rue sans solution une fois la crise passée. Les personnes accompagnées par Milos se retrouvent ainsi souvent prises dans le phénomène institutionnel dit des «portes tournantes».

Milos rencontre donc des personnes abandonnées à la fois par leurs proches et n’ayant plus de filet social, personnes prises dans le cercle vicieux de leurs problèmes et cumulant les étiquettes – déficience intellectuelle, itinérance, maladie mentale, toxicomanie, travail du sexe, délinquance. Avec le temps, le poids de la solitude, des stigmates et de leurs difficultés peut écraser leurs espoirs de connaitre des jours meilleurs.

 

Créer du lien

Le processus de stabilisation en logement des personnes accompagnées par Milos est facilité par la présence de divers liens susceptibles de les soutenir dans leurs projets et face aux difficultés qu’elles rencontrent.2 En suivant l’intervenant dans son quotidien de pratique, j’ai réalisé qu’un aspect important de son intervention est ainsi de favoriser le développement d’un réseau soutenant : par exemple, il accompagnera une ou deux fois une personne dans un organisme communautaire s’il la considère susceptible de bénéficier des ressources qui y sont offertes et qui seront à sa disposition lorsqu’elle en sentira le besoin. Toutefois, une bonne partie des liens sont tissés par les personnes elles-mêmes et le rôle de l’intervenant se résume à favoriser le développement des liens positifs et de remettre en question ceux qui lui paraissent délétères. J’ai classifié les liens soutenants favorisés par l’intervenant en cinq catégories : les ressources d’hébergement, les ressources institutionnelles et communautaires, les personnes bienfaitrices, les pairs et les milieux de travail.

Milos se donne tout d’abord comme priorité d’établir un lien avec une ressource d’hébergement stable, ce qu’il conçoit comme un prérequis à tout travail sur soi : sans logement adapté à ses besoins, la personne n’a pas de lieu où se reposer, se sentir en sécurité, et fonder un sentiment d’appartenance. L’intervenant affirme évaluer divers facteurs avant de proposer un hébergement à une personne. Il doit, par exemple, déterminer la meilleure ressource, compte tenu des besoins de la personne. Les différentes ressources (maison de chambre, résidence supervisée, logement autonome ou supervisé) présentent des avantages et inconvénients variés en termes de supervision, de soutien quotidien (l’inclusion des repas ou du ménage, par exemple), et de restrictions (couvre-feu, sobriété, etc.). Dans le cas d’une des femmes accompagnées, Milos ne lui a pas proposé d’être en logement autonome considérant que, sans supervision, elle serait plus vulnérable aux abus potentiels de la part de vendeurs de drogue ou de clients ramenés à domicile lorsqu’elle fait du travail du sexe. Avoir un chez-soi répondant à ses besoins de sécurité permet à une personne de s’éloigner de réseaux sociaux nocifs, de se retirer pour prendre soin de sa santé physique ou mentale et d’accumuler des ressources matérielles afin d’atteindre un certain confort.

Milos favorise aussi les liens avec des ressources institutionnelles et communautaires, principalement en accompagnant les personnes dans les ressources et dans leurs démarches auprès de celles-ci. Selon Ouellet (2017), cet accompagnement est particulièrement important puisque les personnes catégorisées comme ayant une déficience intellectuelle peinent souvent à avoir accès aux ressources institutionnelles en raison de difficultés à comprendre leur fonctionnement et leurs normes communicationnelles. D’autres chercheurs soulignent leur difficultés d’accès aux services sociaux et aux soins parce que leurs besoins relèvent à la fois des services sociaux et du système de la santé et qu’aucun de ces services n’est à l’aise de répondre à leurs demandes de soins (Fisher, 2004; Ward et al., 2010; Salvador-Carulla et al., 2008).

Plusieurs personnes accompagnées par Milos visitent régulièrement les centres de jour et les organismes en itinérance qui offrent des repas gratuits. Les liens tissés avec ces organismes communautaires sont importants pour les personnes. Par exemple, un des hommes a développé un fort sentiment d’appartenance à un organisme communautaire qu’il fréquente et au sein duquel il s’implique plusieurs fois par semaine. Ce sentiment d’appartenance s’exprime, entre autres, par sa tendance à s’inclure dans certaines activités réalisées au sein de l’organisme : «on a rénové la salle de bain». Ce sentiment d’appartenance est renforcé par des gestes de reconnaissance de la part des membres de l’organisme, comme la préparation d’un repas spécial à l’occasion de son anniversaire.

Le témoignage d’un autre homme permet aussi d’entrevoir l’importance d’avoir un réseau soutenant pour sortir de la dépendance ou de l’itinérance : «Il faut jamais lâcher quelqu’un, faut toujours lui donner une bouée de sauvetage; sinon, tu quittes ta gang de conso, tu te ramasses tout seul, pis tu te remets à boire parce que t’es seul». Dans son cas, la création d’un nouveau réseau s’est faite à travers les activités de groupe offertes dans un centre de jour et semble avoir contribué au développement d’une identité personnelle positive, comme l’illustre la manière dont il s’est présenté lors d’une conférence : «Bonjour, je m’appelle [X] et je suis un artiste.» Cette introduction témoigne que, par son implication dans un centre de jour où il joue régulièrement de la musique avec des pairs, il exerce un rôle social valorisé et reconnu sur lequel il peut fonder son identité.

Les personnes accompagnées par Milos entretiennent aussi avec des personnes bienfaitrices des liens fondés sur une relation d’aide et pouvant prendre une grande place dans leur vie. Par exemple, voisins et propriétaires d’immeubles peuvent jouer un rôle significatif. En côtoyant régulièrement les personnes accompagnées, ils peuvent régler les situations problématiques avant qu’elles ne se dégradent. Ils peuvent également informer l’intervenant si une telle situation semble se profiler. Des résidents du quartier ou des passants peuvent aussi être vus comme des personnes bienfaitrices, en soutenant les personnes dont la rue constitue le milieu de vie et qui y passent le plus clair de leur temps, même lorsqu’elles ont un logement. Ce type de soutien est plus indirect que l’investissement personnel et régulier de voisins, mais semble jouer un rôle significatif à partir du moment où la personne est reconnue comme une «habituée» de l’endroit et bénéficie de l’apport financier, alimentaire et matériel de multiples passants.

Les personnes tissent aussi des liens avec des pairs, qu’ils soient usagers de ressources communautaires, colocataires ou amis, en fournissant réciproquement soutien moral, cigarettes, nourriture, argent et contacts professionnels. Ces liens avec les pairs sont fondés sur le partage d’expérience ou d’intérêts et sont, le plus souvent, enracinés dans l’horizontalité et le principe d’entraide.

Les relations avec les pairs ne sont pas toujours positives : Milos m’a rapporté que les cas d’encouragement à la consommation, de relations conflictuelles ayant un impact sur le bien-être psychologique et d’exploitation financière, matérielle ou sexuelle sont fréquents. Sans exercer de surveillance active ou s’immiscer dans les relations entretenues par les personnes accompagnées, l’intervenant s’intéresse à leurs fréquentations afin d’encourager les relations qui lui semblent positives et de remettre en question celles qui semblent être sources de mal-être. Ceci n’implique pas nécessairement de suggérer d’y mettre fin : l’intervenant se limite à aider les personnes à définir leurs propres limites et à les inciter à les poser clairement face à leurs pairs. Lorsqu’une personne choisit de mettre fin à une relation qu’elle juge néfaste, l’intervenant peut la soutenir dans la formation de nouvelles relations remplissant les besoins auparavant comblés par cette relation néfaste, par exemple, en lui suggérant des centres de jour ou des activités de groupe où elle pourrait développer un réseau plus positif.

Enfin, en plus de permettre une augmentation de revenu, les liens avec les milieux de travail ouvrent l’accès à de nouvelles relations sociales et à un sentiment d’appartenance, au développement de compétences personnelles, à un sentiment d’accomplissement et à la reconnaissance d’autrui. Certains de ces emplois sont offerts par des ressources institutionnelles ou communautaires, mais la plupart relèvent du travail informel : par exemple, collecte de contenants consignés, bénévolat avec ou sans compensation, travaux domestiques légers, travail du sexe.3 Milos encourage le développement de liens positifs avec les milieux de travail et soutient les personnes dans la réduction des risques auxquels elles peuvent s’exposer en travaillant, par exemple, en fournissant des gants et des pinces à une personne fouillant les poubelles pour y trouver des consignes et en l’incitant à s’impliquer dans une coopérative de recyclage de consignes.

Ancrages

Cette importance accordée aux liens sociaux dans la sortie de l’itinérance rejoint une conception de l’itinérance «caractéris[ée] par l’absence de points d’ancrage», présentée par Ouellet (2007, p. 61) : «[i]l est alors question de l’absence de  domicile, mais aussi de l’absence de travail, de biens matériels ou de relations significatives.». Mes observations suggèrent que, symétriquement, le processus de sortie de l’itinérance implique un «réancrage» à travers des liens significatifs qui constituent des assises pour obtenir un logement et stabiliser sa situation. 

Les liens soutenants seraient aussi des leviers importants pour défaire des points d’ancrage établis durant la période d’itinérance. En effet, en l’absence de liens significatifs les liant à la société «normale», les personnes en situation d’itinérance semblent développer des liens alternatifs afin de répondre à leurs besoins d’attachement et de reconnaissance. En s’intégrant à un réseau par la consommation (Hari, 2015) ou par la criminalité pour répondre à des besoins matériels, identitaires ou d’attachement, les personnes créent en quelque sorte des points d’ancrage qui les lient au milieu de l’itinérance. En ce sens, plusieurs études soulignent que des liens sociaux associés au milieu de la rue et particulièrement à celui de la consommation, freinent le processus de stabilisation en logement (Stoetzel, 2007; Mercier et Picard, 2011).

Globalement, mes résultats me poussent à croire que le «désancrage» du milieu de la rue et l’ancrage dans la société «normale» ne peuvent se concevoir indépendamment, et que l’établissement de liens soutenants – les points d’ancrage évoqués par Ouellet (2007) – est nécessaire, non seulement pour avoir accès à des ressources supplémentaires, mais aussi pour combler des besoins d’attachement et de reconnaissance autrement compensés par un réseau social, un mode de vie et une identité qui posent obstacle à l’établissement et à la stabilisation en logement ainsi qu’au développement personnel.

Toutefois, selon mes observations, tous les liens associés au milieu de l’itinérance ne sont pas négatifs. Bien au contraire, il semble que les liens tissés avec les intervenantes et les pairs au sein des organismes communautaires jouent un rôle crucial dans le processus de sortie de l’itinérance et de stabilisation en logement en comblant de manière positive des besoins d’attachement et de reconnaissance. Plusieurs personnes continuent ainsi de s’y rendre après s’être installées en logement, ne souhaitant pas marquer de rupture avec une période révolue de leur vie en s’éloignant du milieu communautaire qu’elles fréquentaient lorsqu’elles étaient en situation d’itinérance. Pour l’intervenant, soutenir la personne dans l’établissement d’un réseau qui puisse la soutenir dans le processus de sortie de l’itinérance n’implique ainsi pas de la déraciner de son milieu, mais plutôt de la soutenir dans la remise en question de ses relations négatives et dans l’établissement de relations positives et soutenantes, qu’elles soient liées au milieu de l’itinérance ou non.

Inégalités et réseaux

Dans une perspective macrosociale, il est toutefois important de se rappeler que toutes les personnes n’ont pas accès au même réseau de soutien et que le manque d’accès aux liens sociaux soutenants est à la fois symptôme et facteur d’inégalités sociales.

Il est tout d’abord facteur d’inégalités, puisque les liens sociaux soutenants sont des ressources mobilisables pour réaliser ses projets et pallier des difficultés. Les liens tissés avec la famille, les amis, les voisins, les contacts professionnels, les intervenantes d’organismes communautaires et le chez-soi sont nécessaires pour remplir des besoins qui sont parfois si évidents que l’on en vient à les oublier : par exemple, se loger, se sentir en sécurité, avoir un revenu décent, avoir accès à une alimentation décente et apprendre à cuisiner, remplir ses besoins affectifs et identitaires, partager ses difficultés, obtenir des conseils et prendre du recul par rapport à sa situation. Pour les personnes ayant un handicap physique ou intellectuel, la présence d’un réseau soutenant peut permettre de compenser diverses difficultés personnelles. L’incapacité à faire reconnaître ses droits face à un propriétaire de logement abusif, peut se révéler déterminante dans le parcours d’une personne et conduire à l’itinérance si elle n’est pas compensée par le soutien de proches. Les personnes peinant à développer et maintenir un réseau social soutenant ont ainsi des difficultés particulières à remplir leurs besoins de base et à maintenir des conditions de vie décentes.

L’absence de réseau soutenant est aussi symptôme d’inégalités sociales : les liens auxquels nous avons accès varient selon les parcours de vie et les discriminations vécues. Certaines personnes grandissent dans des familles moins présentes et moins soutenantes et d’autres peinent à établir et maintenir un réseau soutenant parce qu’elles sont rejetées sur la base de leurs capacités physiques ou intellectuelles, de leurs habitudes de consommation, ou de leur genre, entre autres. Les personnes catégorisées comme ayant une déficience intellectuelle sont particulièrement défavorisées dans une société méritocratique, puisque peu d’espaces d’épanouissement et de socialisation sont créés pour des personnes dont les compétences et l’utilité sociale sont peu reconnues.

Ironiquement, les personnes cumulant les difficultés et nécessitant le plus de soutien sont aussi celles qui semblent avoir le plus de difficulté à établir et maintenir des liens soutenants. Ces personnes sont aussi, de plus en plus, abandonnées par les ressources institutionnelles et communautaires, qui doivent désormais composer avec des objectifs de performance et d’optimisation des services et pour qui il est peu rentable de soutenir une personne qui requiert plus de ressources psychosociales que les autres. Peu de ressources sont ouvertes, par exemple, à une des femmes suivies par Milos, considérant que celle-ci n’a pas de diagnostic en santé mentale et que son cas est considéré trop complexe par la plupart des ressources en itinérance et en dépendances. Malheureusement, un tel manque de soutien conduit généralement les personnes à tomber dans des cercles vicieux qui les mènent à développer de nouvelles difficultés ou à aggraver leurs problèmes existants, accentuant encore une fois leurs difficultés relationnelles.

L’échelle collective

Dans ce contexte, un accompagnement personnalisé comme celui de Milos permet de proposer des pistes d’amélioration du bien-être adaptées aux besoins, aux vulnérabilités et aux compétences de la personne accompagnée. En favorisant de manière proactive le développement de liens soutenants autour de la personne, Milos permet de compenser son faible réseau et une part des discriminations qu’elle vit. Toutefois, bien qu’elle permette de faire le mieux possible considérant le peu de leviers accessibles aux personnes accompagnées, cette pratique ne peut s’attaquer aux sources de la marginalisation et des inégalités qu’elles vivent. Il est impératif de complémenter de telles pratiques par des changements à l’échelle collective visant à intégrer les personnes «hors-normes» en acceptant leurs différences et en développant des espaces sociaux reconnaissant et valorisant leurs capacités et leurs particularités.

Notes

1. J’ai rencontré Milos (nom fictif) lors de mon projet de maîtrise, au cours duquel je me suis intéressé aux enjeux éthiques de sa pratique. J’ai effectué environ 120 heures d’observation ethnographique de cette pratique sur une période de 7 mois. Au cours de ce terrain, j’ai assisté à environ 70 rencontres psychosociales et ai conduit 6 entretiens ouverts avec des personnes accompagnées par Milos ainsi que 8 entretiens semi-dirigés avec l’intervenant lui-même. Je désigne les personnes accompagnées par Milos comme «catégorisées comme ayant une déficience intellectuelle» puisque chacune d’elles a initialement été référée à l’intervenant suite à une interprétation de ses difficultés quotidiennes et limitations comme symptomatiques d’une déficience intellectuelle, diagnostiquée ou non.

2.  Le concept de «stabilité [en logement]», souvent employé par les intervenants rencontrés au cours de ce projet, implique que la personne n’est présentement pas à risque de perdre son hébergement. En plus de supposer que cet hébergement est fiable et que la personne peut y séjourner à long terme, la «stabilité» implique aussi que la personne maintient un certain contrôle sur les problèmes qui pourraient précipiter son éviction et un retour en situation d’itinérance, comme les problèmes financiers, relationnels, ou de santé mentale.

3. Comme le travail du sexe implique des risques en termes de santé et d’exploitation, Milos ne favorise pas ce type de travail et se limite à une approche de réduction des méfaits. Toutefois, malgré ces risques, force est de reconnaitre que le travail du sexe peut être une avenue attrayante pour des femmes qui sont très limitées en termes d’accès à des revenus «légaux» – dont l’une d’elles qui ne reçoit de sa curatrice que 20$ d’argent de poche par semaine et qui peut donc décupler son pouvoir d’achat grâce au travail du sexe.

Références

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Curateur public du Québec (2008). L’itinérance et l’inaptitude. Montréal : Direction des communications du Curateur public du Québec

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Fisher, Kathleen (2004). «Health Disparities and Mental Retardation», Journal of Nursing Scholarship, 36(1), p. 48-53.

Hari, Johann (2015). Chasing The Scream: The First and Last Days of the War on Drugs. UK : Bloomsbury.

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Ouellet, Guillaume (2017). L’individu dans les rouages de l’objectivation : Déficience intellectuelle, justice pénale et travail en réseau (Thèse de doctorat). Montréal : Université de Montréal.

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