Développement psychosocial et habilités sportives : bien dans mes baskets

« À cause du basket, tu voyais plus loin, tu restais plus rationnel, tu disais « ça va pas durer longtemps ce qu’il fait, lui [vendre de la drogue] ». Moi, je vais vers un but qui va m’amener jusqu’à l’université. Puis après, ma vie va aller bien. C’est le fait de penser plus loin, pas juste à aujourd’hui. »

 « Tu sais, tomber dans la drogue, j’ai vu trop de monde dans ma famille faire ça. Mon cousin, ma cousine, ils ont vécu les mêmes expériences que moi mais, eux, ils n’avaient pas le soutien du basket. Ils n’avaient pas du monde comme ça. Ma cousine est rendue danseuse, mon cousin est fucké ben raide. Moi j’suis pas tombé comme ça puis je pense que c’est beaucoup à cause du milieu du basket. »

Quatorze anciens athlètes-étudiants (AÉ) masculins âgés de 18 à 26 ans ont été rencontrés dans le cadre d’un projet de recherche évaluative portant sur le programme Bien dans mes baskets (BdmB). Ces anciens AÉ ont passé de trois à quatre ans dans le programme et appartiennent à des groupes ethnoculturels variés. L’objectif de l’étude était de comprendre les processus pouvant influencer le développement d’habiletés de vie chez des jeunes provenant de milieux socioéconomiquement défavorisés.

La passion du basket

BdmB est un programme de développement psychosocial utilisant le basketball parascolaire comme outil d’intervention et de prévention auprès d’adolescents à risque de délinquance. Ce programme a pour mission de favoriser la persévérance scolaire et l’inclusion sociale, ainsi que le développement de compétences sociales et d’une éthique de travail. Le programme, implanté dans le quartier Jeanne-Mance à Montréal, a été développé par un ancien joueur et entraîneur de basketball de haut niveau, devenu travailleur social. Les obstacles rencontrés dans ses tentatives d’entrer en contact avec les jeunes de son milieu l’ont amené à chercher un moyen de les rejoindre correspondant à leurs intérêts. Il a constaté que le basketball était une passion chez ces jeunes. Ses compétences sportives devenaient ainsi un atout privilégié pour entrer en contact avec eux et lui permettre de répondre à leurs besoins en termes d’intervention psychosociale. Contrairement à plusieurs programmes sportifs, les interventions psychosociales de BdmB qui sont composées d’ateliers préalablement construits (Petitpas et al., 2004; Danish et al., 2004; Danish et al., 2005; Brunelle et al., 2007). Par ailleurs, le programme est intégré à une école et ne relève pas d’une expérimentation ponctuelle. Les participants sont accompagnés et guidés toute l’année par des entraîneurs qui sont également des travailleurs sociaux (ETS). Bien qu’il soit offert à tous les étudiants et étudiantes de l’école, le projet cible davantage des jeunes présentant de multiples facteurs de risque. Un autre trait distinctif de ce programme est que, à travers ses diverses composantes, les ETS favorisent les interventions de groupe dans des contextes réels, c’est-à-dire qu’ils basent leurs actions sur des événements qui surviennent dans la vie des jeunes qu’ils entraînent.

L’analyse de contenu des 14 entretiens a permis de mettre en évidence quatre facteurs ayant contribué au développement des habiletés de vie chez les anciens participants de BdmB : le modelage de l’ETS auprès des AÉ, le développement d’un sentiment d’attachement au sein d’un nouveau groupe social, le développement d’une culture d’équipe correspondant à la philosophie de BdmB et la protection contre les influences négatives du contexte de vie grâce au programme BdmB. Ces facteurs agissent en interaction mutuelle afin, éventuellement, de favoriser le processus de développement d’habiletés de vie.

Selon l’Organisation Mondiale de la santé, les habiletés de vie sont des :

« Aptitudes à adopter un comportement adaptatif et positif, qui permet aux individus de faire face efficacement aux exigences et aux difficultés de la vie quotidienne. […] Les aptitudes utiles dans la vie sont des compétences personnelles, interpersonnelles, cognitives et physiques qui permettent aux individus de maîtriser et de diriger leur existence et d’acquérir la capacité à vivre dans leur environnement et à modifier celui-ci. Voici des exemples d’aptitudes utiles dans la vie : capacité à prendre des décisions et à résoudre des problèmes, raisonnement créatif et réflexion critique, conscience de soi et empathie, compétences en matière de communication et de relations interpersonnelles, capacité à faire face à ses émotions et à maîtriser le stress. » (Organisation mondiale de la santé, 1999: 17).

Lien de confiance et modèle de vie

Il semblerait que le modelage de l’ETS ait contribué au développement d’habiletés de vie via deux étapes. Il débute par la construction d’un lien de confiance entre les ETS et les AÉ. Une fois ce lien établi, l’observation des ETS en action amène les jeunes à reproduire leurs comportements. Les ETS deviennent progressivement des modèles de vie, car ils leur permettent de faire des apprentissages qu’ils peuvent transférer dans d’autres domaines de leur vie comme en témoigne ce participant : « [Nom de l’ETS], c’était un gars bien spécial. J’ai beaucoup de respect et d’estime [pour lui] parce que c’est un gars qui m’a mis au défi. Il m’a présenté le basket, pas juste comme un sport, mais comme un endroit pour apprendre la vie ».

Les participants ont mentionné que la relation qu’ils ont eue avec leurs entraîneurs a été significative dans leur vie. La confiance s’est établie à la fois à travers un lien affectif et à travers le soutien constant des ETS. Les répondants ont affirmé avoir développé une admiration pour leur entraîneur. Ils savaient aussi qu’ils pouvaient compter sur lui lorsqu’ils avaient des problèmes, qu’il serait à l’écoute de leur point de vue et qu’il serait là lorsqu’ils avaient besoin de conseils : « C’était vraiment un mentor pendant un bout. [Nom de l’ETS] m’a beaucoup appris. Il ne le sait pas, il y a des trucs qu’on dit pas, mais je le regardais souvent. Je regardais comment il agissait. Et ça m’apprenait ».

En observant leurs entraîneurs, les AÉ en sont venus à les considérer comme des mentors et à imiter leurs comportements. Ce phénomène a également été observé dans l’étude de Zimmerman et al. (2002) où des jeunes qui avaient des mentors positifs (tels des proches, des entraîneurs, des animateurs ou des professeurs) rapportaient que ces derniers avaient joué un rôle important dans leur développement lorsqu’ils étaient adolescents.

Selon la théorie de l’apprentissage social, les adultes et les pairs, considérés comme crédibles aux yeux des jeunes, peuvent servir de modèles dans l’apprentissage de nouvelles habiletés (Rosenthal et Bandura, 1978). Les formations traditionnelles que reçoivent les entraîneurs sont souvent axées sur la performance, la technique et les tactiques de jeu et peu d’importance est accordée au développement prosocial des adolescents et au rôle de mentor de l’entraîneur (Cushion et al., 2003). Dans le cas de BdmB, les entraîneurs ont une formation en travail social (ou sont supervisés par un travailleur social) et mettent autant d’importance sur le développement psychosocial des jeunes que sur leurs habiletés sportives. Les entraîneurs sont également sensibilisés quant à l’image qu’ils projettent sur les jeunes et quant à leur rôle de mentor.

Sentiment d’attachement

En participant à des activités signifiantes, tant dans le cadre sportif qu’en-dehors de ce cadre, les AÉ affirment avoir progressivement développé un sentiment d’attachement envers les autres joueurs de leur équipe. Ce sentiment semble s’être développé selon deux étapes : d’abord en participant à des activités signifiantes et en partageant des expériences communes, puis en ayant le sentiment d’avoir du soutien social dans ce nouveau groupe. Un joueur avance à propos des tournois : « Ça nous rapprochait beaucoup […]. C’est vraiment des expériences excitantes, des moments qui nous mettaient ensemble, qui nous rapprochaient ».

Les jeunes provenant de milieux à risque ou de milieux socioéconomiques défavorisés ont peu d’occasions de sortir de leur quartier pour voir et vivre autre chose. La participation à des tournois inter-cités à l’extérieur de leur école a été l’occasion de vivre des expériences nouvelles et positives. Les conditions y étaient rassemblées pour que les membres de l’équipe partagent des moments uniques, souvent intenses, et construisent un vécu collectif.

Selon les témoignages des participants, BdmB a favorisé le développement d’une amitié entre les joueurs. Ils ont rapporté qu’ils fraternisaient avec les autres joueurs lors de leur temps de loisir, soit dans les pauses à l’école, les soirs où ils n’avaient pas de pratique de basketball et les fins de semaine : « En-dehors des matchs et des pratiques, on était vraiment des amis, comment dire, des frères quasiment. On se supportait. » ou encore « Quand un joueur était à l’écart, on allait tous le voir pour essayer d’arranger les choses parce qu’on savait qu’on avait besoin de tout le monde. » Les activités signifiantes et le partage d’expériences communes semblent donc avoir contribué au développement d’un sentiment d’attachement, lequel aurait favorisé le développement d’habiletés de vie chez les adolescents.

Les nombreuses interactions entre les joueurs les ont amenés à développer une amitié et à avoir le sentiment de faire partie intégrante du groupe dans lequel ils se sentaient soutenus. Les liens créés entre les joueurs et le programme les ont aidés à s’influencer mutuellement de façon positive. Le partage d’expériences communes au sein de l’équipe a amené certains joueurs à percevoir leur équipe de basketball comme une nouvelle famille, un nouveau noyau dans lequel ils étaient reconnus et soutenus. Pour certains jeunes provenant de milieux familiaux dysfonctionnels, le programme offrait un contexte propice à la constitution d’un nouveau réseau dans lequel ils avaient du soutien social signifiant. Rutten et al. (2008) ont rapporté des résultats semblables quant à l’impact du soutien que les entraîneurs accordent à leurs athlètes. Selon ces chercheurs, une bonne relation athlète — entraîneur et du soutien social auraient des effets positifs sur le développement des jeunes.

La « classe » du basket

À travers leur participation au programme, une culture particulière s’est progressivement dessinée au sein des équipes au point qu’un des joueurs ait développé un sentiment comparable au sentiment d’appartenance à une « classe sociale » : « On était comme une classe sociale ; la classe du basket. » Cette culture s’est manifestée par le partage d’un style de vie et de valeurs (« On s’habille d’une certaine façon, on parle d’une certaine manière. ») ainsi que par la conformité à des normes communes qui se tissent à travers le temps passé ensemble par les joueurs en dehors des cours et se renforce au fil du temps :  « On se tenait tout le temps ensemble. On parlait de tout et de rien. À chaque fois qu’on avait une pause, on se réunissait. À mesure que la saison de basket commençait, tout le monde, même les plus jeunes se tenaient avec nous. Tous ceux du basket se réunissaient ensemble. »

Lorsqu’un joueur se comportait de façon non conforme aux normes établies par le groupe et par les ETS, les membres de l’équipe lui exprimaient leur désaccord afin qu’il revienne aux valeurs BdmB et n’entache pas l‘image du programme. Faire partie d’un groupe d’amis qui a sa propre culture entraîne l’adoption de comportements conformes aux normes établies par ce groupe et ces comportements sont le reflet des influences que le groupe exerce sur chacun de ses membres (Eccles et Barber, 1999). La remarque d’un participant illustre la dynamique de la culture propre à BdmB : « Avec mes amis proches de BdmB, par exemple, quand un d’entre eux essayait de faire des niaiseries en-dehors de l’école, ben je disais « non, oublie pas, ça pourrait avoir un impact sur l’équipe, non oublie pas que ça pourrait avoir un impact, même à l’école peut-être » ».

Une culture d’équipe inspirée de la philosophie de BdmB a été intériorisée par les joueurs qui partagent ainsi des valeurs, des normes et un style de vie. Le développement de cette culture d’équipe BdmB aurait à son tour favorisé un vécu collectif via d’autres expériences communes, car les participants ont affirmé faire des activités et se fréquenter même à l’extérieur du cadre de BdmB. Ensemble, ces éléments auraient contribué au développement d’habiletés de vie faisant partie intégrante de la philosophie et de la culture de BdmB.

Dispositif de protection

« [J’habitais] un quartier que je n’aime pas et que je n’ai pas aimé parce que c’est un quartier avec des proxénètes, des putes, de la drogue, tout ça roulait devant chez moi. Dans le parc, il y avait des seringues par terre, il y avait des gens qui se piquaient, c’était plutôt des mauvais exemples que ça me donnait. Et j’avais aussi des amis plus vieux qui m’influençaient de ce côté-là. Je les connaissais pas beaucoup, mais ils faisaient partie des gangs de rue. C’était pas vraiment un quartier sain. C’est un quartier plutôt défavorisé, avec des délinquants, des gangs de rue, tout le kit (…). C’est des affaires qu’on veut pas voir quand on est jeune. C’est quand même un mauvais exemple parce que moi, un moment donné, je vais me demander si, moi aussi, je veux faire ça. Il y en a d’autres qui ont pris ce chemin-là. Ils ont le même âge que moi. Mais moi, j’ai pas pris ce chemin là parce que BdmB, ça m’a plutôt dirigé vers un bon côté. »

Le programme BdmB semble ainsi avoir agi comme dispositif de protection contre les influences négatives du milieu social dans lequel vivent certains de ces jeunes. Plusieurs participants ont rapporté qu’ils sentaient des pressions venant d’autres groupes et même de gangs de rue qui les incitaient à adopter des comportements antisociaux, voire même à entrer dans le monde de la criminalité. BdmB aurait constitué une force d’attraction suffisamment importante pour contrer l’attrait que pouvait présenter ces groupes.

Un autre AÉ a mentionné qu’en jouant au basketball, en étant à l’intérieur des murs de l’école, dans un environnement encadré par des intervenants psychosociaux, il était davantage influencé par les valeurs et les normes positives de ce milieu plutôt que par celles davantage négatives du monde de la rue. Nos résultats suggèrent ainsi qu’en participant à BdmB, les jeunes athlètes seraient plus enclins à fréquenter d’autres jeunes du programme plutôt que des groupes de l’extérieur de l’école pouvant les influencer négativement. Ces résultats sont similaires à ceux de Daud et Carruthers (2008) où des jeunes provenant de milieux à risque ont affirmé que participer à des activités parascolaires leur a permis d’éviter de fréquenter des milieux ou des groupes dans lesquels ils auraient pu s’attirer des problèmes. L’étude d’Eccles et Barber (1999) a également montré une association entre la participation à des activités parascolaires et la fréquentation d’amis qui s’absentent moins aux cours ou qui consomment moins de drogue, comparativement à ceux qui ne participent pas à des activités parascolaires.

Notre objectif était de comprendre et de décrire les processus qui favorisent le développement d’habiletés de vie chez des jeunes ayant participé au programme d’intervention psychosociale BdmB. Il s’agissait plus spécifiquement de cibler les processus situés en amont des effets éventuellement induits par le programme BdmB. Il importe de souligner que nos résultats ne doivent pas être interprétés en termes de taux de succès du programme. L’analyse des entretiens auprès de 14 anciens AÉ de BdmB a cependant permis la mise au jour de divers facteurs-clés qui semblent contribuer au développement d’habiletés de vie chez des jeunes à risque de délinquance et de décrochage scolaire. Les processus réunis dans BdmB, à savoir le modelage de l’entraîneur-travailleur social par les jeunes, le développement d’un sentiment d’attachement au groupe, le développement d’une culture d’équipe et le programme agissant comme dispositif de protection contre des influences externes négatives, constitueraient des facteurs susceptibles de faciliter le développement d’habiletés de vie chez ces adolescents. Les entraîneurs, coordonnateurs de programmes sportifs, décideurs, éducateurs physiques et intervenants qui ont à cœur le développement psychosocial positif des jeunes. gagneraient à prendre en compte ces résultats dans leur planification de programme.

Notes

1. Ce projet de recherche a été subventionné par la Fondation du CSSS Jeanne-Mance et la Fondation Lucie et André Chagnon.

2. Cet article est composé d’extraits de : Lapointe, L., Laberge, S. et M. Dusseault (sous presse). « Comment l’intervention psychosociale dans le sport peut-elle développer des habiletés de vie chez des jeunes de milieu multiethnique moins bien nanti? », PHENex Journal/Revue phénEPS.

Références

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Cushion, C.J., Armour, K.M. et R.L. Jones (2003). « Coach education and continuing professional development: experience and learning to coach », Quest, 55: 215-230.

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Danish, S.J., Forneris, T. et I. Wallace (2005). « Sport-based Life Skills Programming in the Schools », dans C.A. Maher (dir.), School Sport Psychology: Perspectives, Programs, and Procedures, Haworth Press, Virginia, pp.41-62.

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Eccles, J.S. et B.L. Barber (1999). « Student council, volunteering, basketball, or marching band: what kind of extracurricular involvement matters? », Journal of Adolescent Research, 14(1): 10-43.

Organisation mondiale de la santé (1999). Glossaire de la promotion de la santé. WHO/HPR/HEP/98.1, Organisation mondiale de la santé, Genève, Suisse.

Petitpas, A.J., Van Raalte, J.L., Cornelius, A.E. et J. Presbrey (2004). « A life-skills development program for high school student-athletes », The Journal of Primary Prevention, 24(3): 325-334.

Rosenthal, T. L. et A. Bandura (1978). « Psychological Modeling: Theory and Practice », dans S. L. Garfield et A. E. Bergin (dir.), Handbook of Psychotherapy and Behavior Change: An Empirical Analysis, Wiley, New York, pp. 621-658.

Rutten, E.A., Dekovic, M., Stams, G.J.J. M., Schuengel, C., Hoaksma, J.B. et G.J.J. Biesta (2008). « On- and off-field antisocial and prosocial behavior in adolescent soccer players: a multilevel study », Journal of Adolescence, 31: 371-387.

Zimmerman, M.A., Bingenheimer, J.B. et P.C. Notaro (2002). « Natural mentors and adolescent resiliency: a study with urban youth », American Journal of Community Psychology, 30(2): 221-243.