Cohabitation et mixité sociale : de l’exclusion au débat collectif

Au cours des cinq dernières années, les quartiers centraux de la ville de Montréal ont connu un « boom » immobilier considérable. Ce développement a été particulièrement marqué dans l’arrondissement Ville-Marie qui se situe en tête de peloton  en ce qui a trait aux projets immobiliers institutionnels d’envergure : la Bibliothèque et archives nationales du Québec et le Pavillon des sciences et des technologies de l’UQÀM en sont quelques exemples. D’autres projets publics sont également prévus à plus ou moins longue échéance. Citons notamment le CHUM, le Quartier des spectacles, le site de Radio-Canada ou encore, le réaménagement de la rue Notre-Dame. Enfin, plusieurs projets privés de développement commercial et résidentiel ont été soit réalisés, soit planifiés ou sont présentement en chantier. Le Louis Bohême (282 unités) et les Lofts des arts (102 unités) en marge du Quartier des spectacles, le Square Cartier (395 unités) près du pont Jacques-Cartier ou encore, la gare Hôtel-Viger (389 unités), le site Sainte-Marie (500 unités potentielles) ainsi que les terrains résiduels de l’autoroute Bonaventure (2000 unités potentielles) figurent parmi ces projets.

La réalisation de l’ensemble de ces projets immobiliers représente des investissements de plusieurs milliards. Ils sont concentrés tant dans l’espace que dans le temps, les échéances s’inscrivant sur une période d’environ vingt ans. Ces projets font preuve d’un engouement pour « investir » le centre-ville de la part d’une population qui modifiera radicalement le portrait de la population locale actuelle. En effet, le développement résidentiel réalisé dans le centre-ville attire une clientèle particulière, tant par le type de développement proposé que par le coût au pied carré. Le maintien de la mixité sociale, l’accès au logement pour les personnes à faible et modeste revenu et la cohabitation entre les marginaux et cette nouvelle clientèle deviennent dès lors des enjeux de première importance. Dans cette logique, l’intégration de mécanismes favorisant la participation citoyenne dans le processus de planification du développement et de l’aménagement du territoire est incontournable.

Disparités sociales et économiques

Le territoire desservi par le CLSC des Faubourgs dans l’arrondissement Ville-Marie compte 48 060 personnes. Il comprend les secteurs Sainte-Marie, Saint-Jacques, Faubourgs Saint-Laurent et Vieux-Montréal. Les données du recensement de 2006 démontrent la persistance de grandes disparités sociales et économiques entre ces différents secteurs, en ce qui concerne les revenus, le niveau de scolarité et la proportion des familles monoparentales. Dans Sainte-Marie, 45% des personnes en ménages privés vit sous le seuil de la pauvreté (7 119 personnes). Ce pourcentage est de 22% (764 personnes) dans le Vieux-Montréal, où le revenu médian des ménages d’une seule personne est de 46 316$ et le revenu moyen par ménage de 114 519$. L’isolement, la pauvreté et l’exclusion sociale marquent le quotidien d’un large pan de la population dont les conditions de vie tranchent avec celles du décile le plus nanti.

L’attachement des résidents pour leur quartier ressort toutefois d’une étude de la Table de développement social du Centre-Sud réalisée en 2007. Les gens apprécient les infrastructures de leur quartier et témoignent du sentiment de sécurité que celui-ci leur inspire. Dans le même sens, l’Étude canadienne sur la santé des collectivités (2008) démontre que la population du territoire du CSSS Jeanne-Mance est celle dont le sentiment d’appartenance à sa communauté est le plus prononcé sur l’île de Montréal. Rappelons que le CSSS Jeanne-Mance comprend, entre autres, le CLSC des Faubourgs, le CLSC du Plateau Mont-Royal et le CLSC Saint-Louis-du-Parc.

Dans le cadre du projet de réalisation d’un portrait populationnel, le CSSS Jeanne-Mance, en collaboration avec les tables de développement social, a effectué une tournée des tables sectorielles. Ces dernières regroupent des organismes travaillant avec les aînés, les familles, les jeunes et la petite-enfance. Cette démarche avait pour but d’identifier les principaux enjeux du territoire en vue de les documenter. L’accès à un logement à coût décent et par ricochet, la rétention des familles et des personnes à faible et modeste revenu sont apparus comme des enjeux parmi les plus importants pour les différents intervenants. Les développements immobiliers prévus, dont celui de Radio-Canada, ont d’ailleurs incité plusieurs groupes à se mobiliser pour l’inclusion de logements sociaux et communautaires ainsi que pour l’intégration de logements pouvant accueillir des familles avec enfants. Le logement est ciblé comme l’un des meilleurs outils d’intervention pour favoriser la mixité sociale.

Le centre-ville est également la terre d’accueil d’une population en marge y ayant trouvé refuge. Il est perçu comme un lieu de prédilection, tant par la population marginalisée à revenu modeste ou sans revenu que par les promoteurs de grands projets. Pour les personnes en situation d’itinérance ou vivant dans des conditions précaires, le centre-ville est un pôle de référence donnant accès aux ressources qui permettent de répondre à leurs besoins de base (refuge, alimentation, soins de santé). L’occupation de l’espace par ces personnes a donné lieu à de grands débats sur le partage du territoire et la cohabitation. Ces échanges ont été teintés à la fois de respect, d’incompréhension et d’exaspération.

Débats et participation

La vision du développement proposée par la Ville de Montréal dans le cadre de son projet Montréal 2025 illustre la volonté politique de positionner la métropole québécoise sur l’échiquier des grandes villes internationales. Le Quartier des spectacles, le Centre Hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), le Centre Universitaire de Santé McGill (CUSM) et la gare Hôtel-Viger sont autant de projets qui participeront au rayonnement de Montréal mais qui pourraient avoir pour effet pervers d’exacerber les conflits d’usages entre les différentes populations partageant le territoire. Ces conflits de cohabitation pourraient se solder par une plus grande exclusion des personnes en situation d’itinérance et des personnes vivant dans des conditions de grande précarité. Cependant, ils peuvent également ouvrir des espaces de débats et de réflexion pour mettre de l’avant des alternatives qui favorisent l’intégration sociale et une gestion équitable de l’espace public.

À cet égard, les exemples du Square Viger, du futur CHUM et de Radio-Canada sont à souligner. Préoccupés par la cohabitation entre la clientèle ciblée par son projet et les marginaux occupant l’espace du Square Viger, le promoteur Viger DMC International a consenti à contribuer financièrement au développement de logements sociaux pour des personnes en situation d’itinérance ou d’extrême précarité. Cette contribution est l’aboutissement d’échanges et de négociations intenses entre la table sectorielle Habiter Ville-Marie, la Ville de Montréal et le promoteur du projet.

Le CHUM a pour sa part misé d’emblée sur une approche de concertation et de consultation afin  de  mitiger les impacts de son projet sur les populations marginalisées. Les principaux acteurs du milieu, soit la Corporation de développement économique communautaire (CDEC) Centre-Sud/Plateau Mont-Royal, la Corporation de développement communautaire Centre-Sud, la Table pour l’aménagement du Centre-Sud et la Table de concertation du Faubourgs St-Laurent ont tous contribué de façon significative à sensibiliser le CHUM aux impacts de la réalisation de son projet sur ces populations et sur la nécessité de faire de ce projet majeur un levier de développement pour la communauté. S’inspirant d’une entente réalisée entre des groupes sociaux de l’ouest du centre-ville et le CUSM, les acteurs du milieu proposent une entente touchant, entre autres, des aspects de cohabitation avec les populations marginalisées, d’embauche locale et de partenariats avec des entreprises collectives.

Finalement, Radio-Canada a opté pour la formation d’un comité-conseil qui a travaillé pendant plus d’un an à l’élaboration de recommandations pouvant favoriser l’intégration du projet à la communauté environnante. Ces dernières abordaient un nombre varié d’éléments pour maximiser les retombées sociales et économiques de ce projet pour les résidents du territoire.  Inclusion de logements sociaux, embauche locale, implantation de commerces de proximité, partenariat avec les groupes du territoire, aménagement d’espaces publics, intégration d’équipements collectifs sont quelques exemples des recommandations du comité conseil. La consultation publique organisée récemment par l’Office de consultation publique de Montréal a également contribué à favoriser le débat public et la participation des groupes et des citoyens.

Ces exemples démontrent une certaine ouverture des promoteurs à inclure les communautés dans des processus de consultation prenant des formes variées selon les projets. Ils ont également pour mérite de favoriser le débat au sein des communautés et d’encourager les citoyens à participer à la définition de leur milieu de vie. Plusieurs exemples, tel le projet résidentiel du Groupe Prével sur le site du Carmel de Montréal en 2005, ont démontré la capacité des milieux de s’organiser et les difficultés que peuvent rencontrer les promoteurs lors de la réalisation de projets sans l’appui de la communauté. Plusieurs des mécanismes de consultation, définis par les promoteurs eux-mêmes, ne répondent cependant pas aux aspirations des milieux d’être partie prenante dès le début du processus. La participation citoyenne ne peut se limiter à des processus de consultation qui donnent lieu à des modifications aux projets après coup, les rendant acceptables à la communauté. Ces mécanismes doivent miser plutôt sur la concertation et favoriser de véritables partenariats entre l’ensemble des parties, soit les promoteurs, les acteurs politiques et les milieux.

Développement social durable

Cœur de la métropole du Québec, le centre-ville de Montréal est un lieu où s’exprime avec une acuité particulière une panoplie d’enjeux sociaux propres aux grandes villes. Pour les promoteurs immobiliers, il s’agit d’un formidable potentiel pour le développement immobilier, commercial, résidentiel et/ou institutionnel. Ces derniers sont encouragés par la Ville de Montréal qui souhaite stimuler le développement de la métropole. Pour les personnes exclues et vivant dans la précarité, le centre-ville est un lieu où se déploie un ensemble de ressources ou d’organismes permettant de boucler les fins de mois ou d’assurer la survie au quotidien.  Enfin, pour la population résidante, les grands projets immobiliers tendent à redéfinir leur quartier. L’engouement manifeste de populations plus aisées pour les quartiers centraux exerce non seulement une pression sur les coûts du logement, mais également sur l’offre commerciale destinée aux moins nantis. Ces projets ont cependant le mérite de provoquer le débat et de favoriser la participation citoyenne. Les tables de concertation du quartier ont contribué à élargir et à alimenter cet espace de débat et de participation.

Les mécanismes de consultation mis en place doivent cependant favoriser une véritable participation citoyenne. En effet, l’apport des communautés doit être intégré dès le début des processus de planification et de réalisation des projets. Rappelons qu’au cours des cinquante dernières années, l’arrondissement Ville-Marie a été marqué par plusieurs interventions publiques d’envergure telles l’ouverture de la tranchée de l’autoroute Ville-Marie, l’élargissement du boulevard Dorchester ou encore, l’implantation de la Cité des ondes. Ces grandes réalisations ont modifié radicalement le paysage urbain et les dynamiques sociales des différents quartiers. Ils ont fait fi des aspirations et des besoins de la population en place. Pour s’inscrire dans une perspective de développement social durable, les grands projets urbains doivent miser sur la participation citoyenne afin de maximiser les retombées sociales et économiques dans les milieux de vie dans lesquels ils se réalisent.

Références

Direction de santé publique (2008). La santé des Montréalais selon l’Enquête sur la santé des collectivités canadiennes, Montréal, Direction de la santé publique de l’Agence de la Santé et des Services sociaux de Montréal.