Les femmes en situation d’itinérance en France et au Québec : mixité, non-mixité et vulnérabilités de genre

L’itinérance a longtemps été pensée comme un phénomène masculin. Cette représentation collective genrée est pourtant déconnectée des réalités vécues. On sait que les femmes vivent aussi des situations d’itinérance, mais qu’elles sont souvent rendues «invisibles» (Bellot et Rivard, 2017). Cette invisibilisation sociale est liée à plusieurs dynamiques et logiques d’actions.  Tout d’abord, la légitimité androcentrée des recherches sur l’itinérance a participé à ne pas prendre en compte les femmes : moins nombreuses que les hommes à vivre ces situations, l’expérience masculine a été conçue comme la norme (Chabaud-Rychter, 2010).

Ensuite, du côté des politiques sociales, paradoxalement, la prise en compte des femmes en raison de leur vulnérabilité a engendré une invisibilisation de leur condition ainsi qu’une réaffirmation des normes de genre  (Marpsat, 1999; Mayol, 2012; Passaro, 1996). Par exemple, Maryse Marpsat parle d’«avantage sous contrainte» pour montrer comment les femmes sont hébergées selon des temporalités plus longues que les hommes mais à la condition d’accepter de «retourner au foyer» et d’investir la sphère domestique. Enfin, les femmes en situation d’itinérance se rendent invisibles elles-mêmes la plupart du temps pour se protéger et éviter la stigmatisation. En effet, elles mettent en œuvre des stratégies et tactiques pour se rendre anonymes, notamment dans la nuit urbaine : circulation dans la ville, utilisation des transports en commun la nuit, ne pas dormir, etc. (Laberge et al., 2000; Maurin, 2017a).

Ces différentes logiques participent de l’invisibilité sociale, entendue comme un processus qui empêche la participation à la vie publique du fait de l’indifférence, voire de l’ignorance de ces vies (Le Blanc, 2015). Cet article s’inscrit dans le prolongement de ces travaux qui interrogent l’invisibilisation sociale des femmes en situation d’itinérance. Pour comprendre ce processus, il s’agit ici d’analyser précisément comment l’organisation des systèmes d’assistance participe de leur (in)visibilisation.

C’est dans cette perspective que la démarche comparative internationale prend tout son sens. Elle n’est pas un objectif en soi, mais une démarche (Paugam et al., 2012) qui permet de comprendre et d’expliquer les traitements sociaux réservés à une population qui vit des situations-limites, c’est-à-dire qui expérimente des situations extrêmes «dans des univers où l’emprise physique ou sociale limite le champ d’action et de paroles des individus» (Roy et al., 2018, p. 5). En effet, la comparaison de l’assistance en France et au Québec a permis de rendre visible l’existence de deux «grammaires sociales», – «grammaire sociale» étant entendu comme «l’ensemble des règles à suivre pour être reconnu dans une société comme sachant agir et juger correctement» (Lemieux, 2009, p. 26). Ce concept, utilisé par la sociologie pragmatique, permet d’insister sur des lignes d’action partagées et leurs justifications dans des situations données. Il permet de révéler l’existence de règles (morales) – explicites ou implicites – qui encadrent l’action et qui lui donnent du sens.

Dans le cadre de l’assistance aux sans-abri et grâce à une ethnographie comparative menée dans des lieux d’accueil et d’hébergement en France et au Québec, nous avons donc pu repérer deux grammaires sociales différenciées dont le genre est un déterminant central : la grammaire de la mixité des catégories de sexe en France et la grammaire de la non-mixité des catégories de sexe au Québec1. Cet article vise donc à décrire ces deux grammaires de l’assistance qui se basent sur la bi-catégorisation des sexes afin d’expliquer les logiques d’action qui en découlent et en quoi elles participent à rendre visible ou non l’itinérance des femmes.

Méthodologie

Pour comparer méthodologiquement les grammaires de l’assistance en France et au Québec, l’enquête ethnographique dans des lieux d’accueil et d’hébergement a été privilégiée. Soutenue par des observations au long cours (entre 2011 et 2016 en France et au Québec), ce travail d’enquête a été complété par des entretiens avec des professionnels du social et des femmes en situation d’itinérance (61) ainsi que par l’analyse de la littérature grise produite parfois par les structures d’accueil et d’hébergement. Ces différents matériaux ont permis de considérer à la fois les situations de prise en charge, les expériences vécues par les femmes et les professionnels ainsi que les logiques d’action organisant le système de l’assistance.

Détresse

Aujourd’hui, en France, l’assistance auprès des personnes sans abri s’ancre dans la grammaire sociale de la mixité qui induit la coprésence des hommes et des femmes en situation d’itinérance dans un même espace social. Cette grammaire sociale s’est construite progressivement au cours du XXe siècle aux dépens de l’organisation parallèle des catégories de sexe en vigueur dans les premiers asiles de nuit (première ressource d’hébergement gratuit) créés à la fin du XIXe siècle. Cette séparation des catégories de sexe impliquait des traitements différenciés : dans les asiles de nuit, les femmes recevaient la soupe le matin et le soir, alors que les hommes en bénéficiaient uniquement en hiver (Katz, 2015). À cette époque, cette assistance par l’abri s’accompagnait d’une assistance par le travail (les refuges-ouvroirs) qui instituait une division sexuelle du travail : alors que les femmes s’appliquaient à la couture et au repassage, les hommes, eux, menaient des travaux de menuiserie. Cette grammaire sociale traduisait une normativité sociale profondément indexée à des normes de genre et à une police des comportements.

Depuis les années 1970, plusieurs logiques sociales ont participé à la transformation de cette grammaire de l’assistance. De façon contre-intuitive, on peut tout d’abord relever l’importance du mouvement féministe, et notamment de la dernière génération de féministes (Henneron, 2005) qui a impulsé la culture publique de la mixité. D’une séparation des catégories de sexe généralisée dans la plupart des institutions sociales, «la mixité devient le principe de gestion de la différence des sexes dans l’égalité : la conception républicaine française de la citoyenneté, une fois élargie aux femmes, implique un abandon de la référence sexuée» (Zaidman, 1996, p. 26). Il s’agit dès lors et progressivement, dans l’assistance, de prendre en charge des individus et non plus des hommes ou des femmes. C’est notamment ce que précise Charlie, éducateur dans un accueil de jour : «avant qu’on prépare cet entretien, je n’avais jamais pensé à la spécificité homme ou femme. C’est plus, c’était plus déjà en fonction de la personne, comment elle arrive, qu’est-ce qu’elle montre, voilà. Et ensuite, je ne suis pas bien clair. Mais la mission première de l’accueil, c’est accueillir la personne homme ou femme, quelle qu’elle soit. Et après c’est une donnée qui vient se rajouter quand elle dépose un peu son vécu, son histoire, en fonction des échanges qu’on a avec la personne quoi. Mais, voilà, de prime abord, […] la question du sexe je trouve qu’elle est peu présente, en tout cas pour moi dans ma pratique.»

Les catégories de sexe «femme» et «homme» auparavant centrales dans l’assistance tendent à s’effacer au profit de la figure de l’individu, et plus particulièrement de la personne en «détresse‍». En effet, à côté de la logique de l’égalité des sexes, celle de la sensibilité humanitaire face à l’exposition publique de la misère (Pichon, 2005) va favoriser la disparition et l’invisibilisation des catégorisations de sexe dans l’assistance et de leur traitement a priori différencié. La notion de détresse devient centrale (Gardella, 2014) et rompt avec les ciblages de l’aide sociale ainsi que la catégorisation des publics de l’assistance (sexe, âge, origine sociale, géographique, etc.). Les individus, hommes et femmes, qui vivent des situations d’itinérance, ne sont plus perçus comme un danger pour la société, mais avant tout comme étant en danger face à la mort de froid et à la désocialisation qui les guettent.

Cette sensibilité humanitaire s’inscrit dans le droit : «toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence». Elle s’observe également dans les discours des intervenants sociaux qui qualifient les usagers de leur dispositif de «personnes en détresse» ou encore de «personnes souffrantes». Certains insistent d’ailleurs sur le fait que les catégories de sexe ont peu d’importance dans la relation d’aide. La personne est donc d’abord vue à partir de ces souffrances.

L’individualisation de la prise en charge et de la relation d’aide semble se détacher de ces rapports de genre. On peut émettre l’hypothèse, à l’appui des travaux sur la psychologisation du travail social (Bresson, 2006; Ion, 2005), que la focalisation sur la catégorie de «personne souffrante» obère les rapports sociaux qui débordent les individus et sur lesquels les intervenants ont peu de prise. En effet, ces derniers, lorsqu’ils qualifient leur travail, insistent notamment sur l’importance de l’écoute et de la présence sociale plus que sur les inégalités sociales, comme c’est le cas de Corinne (éducatrice spécialisée) : «ce qui est important, c’est pas forcément ce que l’on fait mais plutôt d’être là, d’écouter».

Enfin, dans cette grammaire de l’assistance, le concept de «dignité,» loin d’être nouveau, est devenu une catégorie importante de l’action publique concernant le logement et le système de l’hébergement. Dans le cadre de la politique publique «d’humanisation des centres d’hébergement» menée en France depuis 2008, c’est l’architecture même des centres d’hébergement qui est visée, et en particulier les dortoirs qui sont perçus comme des vestiges d’un passé archaïque de la prise en charge des plus pauvres. Financées par l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), les associations qui gèrent les centres d’hébergement s’appliquent à faire disparaître les grands dortoirs au profit de chambres individuelles ou de petite capacité.

On peut alors avancer que les dynamiques d’égalité des sexes, de focalisation de l’intervention sociale sur la personne souffrante ainsi que la transformation architecturale des hébergements facilitent la mise en œuvre de la mixité des catégories de sexe, l’absence de traitement différencié et, par la même occasion, l’invisibilisation des rapports de genre. En tout cas, le genre n’est pas une règle constitutive de cette grammaire de l’assistance.

Aménagements spatio-temporels

Néanmoins, la grammaire de la mixité ne signifie pas pour autant une indifférenciation entre les femmes et les hommes. En effet, s’ils sont accueillis dans des lieux communs – de plus en plus individuels – des séparations persistent. La mixité progressive depuis les années 1970 et effective depuis les années 2000 laisse entrevoir des aménagements institutionnels genrés qui font écho à un autre rapport social considéré comme problématique : la sexualité. C’est en vue de «protéger‍» les femmes des agressions sexuelles, suivant une logique hétéronormative, que plusieurs aménagements institutionnels sont mis en œuvre dans les espaces nocturnes : dortoirs séparés, étages réservés pour les femmes et les hommes. Ils semblent être totalement acceptés et même valorisés par les femmes hébergées. Comme l’exprime Manon : «On est libre du moment qu’on respecte le voisinage et qu’on respecte surtout de ne pas faire monter des hommes au deuxième étage alors que c’est un coin pour femmes et couples. Vous voyez ce que je veux dire? Y a une séparation. Par exemple, je reste au deuxième étage. Là-dessus, c’est strict, c’est comme ça. […] Parce que par exemple, si un homme monte au deuxième étage, vu qu’il y a des femmes qui ont une chambre seule, comme moi, et qu’il rentre dans ma chambre : il peut se passer plein de choses! Il peut me tuer, il peut me violer, il peut se passer plein de trucs quoi! Par rapport à ça c’est interdit.»

D’autres aménagements spatiaux-temporels sont également mis en œuvre à la marge des institutions. Des «espaces femmes» sont proposés dans quelques accueils de jour en France afin de faciliter la venue des femmes dans des lieux mixtes mais néanmoins sur-investis par les hommes. C’est alors pour rendre visibles les femmes, d’une part, et pour limiter leur non-recours aux services, d’autre part, que ces initiatives sont créées.

Dans ces deux cas typiques, les aménagements spatio-temporels sont toujours réalisés pour les femmes. Ils montrent que ce sont les relations entre les femmes et les hommes qui sont perçues comme problématiques par les intervenants, car elles sont potentiellement marquées par des rapports de force qui rendent les femmes plus «vulnérables»
(Lanzarini, 2003). En cela, même si la grammaire de la mixité dans l’assistance vise à rendre secondaire le genre, ces aménagements «ensemble-séparés» (Goffman, 2002) continuent de marquer et de fabriquer à bas bruit la différence.

Vulnérabilité

Au Québec et en particulier à Montréal, l’assistance envers les personnes en situation d’itinérance s’enracine principalement dans la grammaire de la non-mixité. Les catégories de sexe sont centrales dans l’assistance menée par les ressources communautaires. Elles déterminent l’entrée des usagers dans les dispositifs : les hommes peuvent être accueillis et hébergés dans des centres d’hébergement ou refuges pour hommes et les femmes bénéficient de leurs propres structures2. À la différence de la France, le Québec n’a pas vécu de mouvement vers la mixité des catégories de sexe dans l’assistance. Ce qui ne signifie pas pour autant que la séparation revêt la même normativité genrée que celle du XIXe siècle précédemment exposée. En effet, la justification de cette règle de la séparation se fonde sur une autre normativité sociale, elle aussi liée au genre, mais principalement axée sur la vulnérabilité des femmes liée aux inégalités et aux violences de genre (Maurin, 2017b).

Pour comprendre et expliquer cette grammaire, nous pouvons relever plusieurs logiques d’action et raisons d’agir. Comme pour la France, les mouvements féministes peuvent être considérés comme déterminants. Mais, à la différence du mouvement français qui a abandonné la référence sexuée au profit de l’individu neutre et universel en vue d’une égalité entre les sexes, le genre reste ici central dans la définition des individus. Dans cette perspective, le genre est à la fois défini comme une dimension de l’identité des individus et comme une modalité des relations sociales (Théry, 2010).

Tout d’abord, la catégorie de «femme», en tant que catégorie politique, a impliqué la création d’espaces autonomes pour les femmes. Cette modalité organisationnelle des espaces féministes et communautaires reste majoritaire. Cette pensée catégorielle est également typique des politiques publiques selon Connell. Elle peut être considérée comme «une première tentative de penser le genre. Elle a [d’ailleurs] inspiré plusieurs décennies de réformes dans l’éducation, le travail ou encore la santé visant à modifier les stéréotypes de genre ou à proposer des services spécifiques pour les femmes et les filles afin de compenser leurs ressources réduites» (Connell, 2014: 242). À Montréal, elle constitue également une règle centrale dans l’assistance pour les femmes et revêt plusieurs significations complémentaires : celle de la protection et de la sécurité ainsi que celle de l’émancipation.

Dans un premier temps, la dimension sécuritaire constitue un «allant de soi» pour les intervenantes. Elle ne fait pas l’objet de discussions ou bien de remise en question. Elle est ensuite principalement relevée par les femmes en situation d’itinérance qui reconnaissent la capacité des ressources communautaires, du fait de la séparation des sexes, à les protéger face au monde de la rue vécu comme violent et principalement masculin : «T’es obligée de sortir la journée quand tu es en refuge. Ça fait qu’essaie d’imaginer‍ : je serais avec des hommes tout le temps, tout le temps, tout le temps. Je ne serais pas capable d’être avec des hommes tout le temps, tout le temps, tout le temps. Ils m’auraient tuée. Parce qu’il y a la protection pareil par ici, tu sais, c’est une forme de protection aussi pour les femmes. Ils savent qu’ils n’ont pas le droit de venir ici, ils savent qu’ils n’ont pas le droit de rester à la porte, ils savent qu’ils ne peuvent pas rentrer. Ça fait que là, eux autres, ils se disent dans leur tête : ben ces femmes-là, elles sont protégées.» (Femme en situation d’itinérance)

Ce mode d’organisation en non-mixité se justifie par les violences envers les femmes, vécues ou potentielles, dans la rue mais aussi dans la famille et plus largement dans la société. Ces violences structurelles, et la vulnérabilité sociale des femmes qui en découlent, justifient son existence : «Il y a un grand pourcentage de femmes qui ont subi des agressions sexuelles, de l’inceste, donc c’est nécessairement un moment pour se mettre à réfléchir au-delà de l’indispensable. Et c’est pas évident de te confier à un homme quand tu as vécu des abus sexuels […] Et aussi on ne voit pas comment un homme pourrait avoir une perspective féministe. Il y a des hommes qui peuvent être très conscients, mais c’est important aussi l’expérience qu’on a en tant que femme pour pouvoir partager ou comprendre». (Intervenante d’une maison d’hébergement)

Dans le cadre de l’assistance auprès des femmes en situation d’itinérance, la non-mixité concerne également les intervenantes. Cette non-mixité «totale» (Marcillat et Maurin, 2018) favorise, selon les protagonistes, la relation d’aide et l’émancipation. Si elles n’ont pas expérimenté la rue – encore que certaines sont des «ex-itinérantes» – elles partagent, en tant que femmes, une même expérience d’oppression en raison de leur catégorisation sociale. En cela, ces intervenantes deviennent des «professionnelles du proche» et se servent de leurs savoirs expérientiels (Gardien, 2019) pour apporter de l’aide. Cette perspective de la proximité comme soutien social est perçue par les intervenantes comme un levier pour l’émancipation des femmes. La grammaire de l’assistance au Québec est, dès lors, arrimée par les protagonistes (les aidantes et les aidées) à une analyse des vulnérabilités de genre qui constitue un «cadre de référence disponible pour identifier le trouble» (Emerson et al., 2012, p.75), pour analyser les situations et y répondre.

(In)visibilité et (non)reconnaissance

Dans le cadre de l’assistance aux personnes sans abri, nous avons repéré deux grammaires sociales. Celles-ci se distinguent sur une règle constitutive : dans la grammaire de la mixité, l’appartenance à une catégorie de sexe est secondaire et ne participe pas de l’aide apportée; dans la grammaire de la non-mixité, l’appartenance à une catégorie de sexe et en particulier à celle de «femme» est au cœur des raisons d’agir.

Cette différence majeure de l’assistance et ses justifications participent à qualifier les individus et leur place dans l’assistance, et à rendre visible ou bien à invisibiliser l’itinérance des femmes ainsi que les inégalités de genre. En effet, en France, l’itinérance des femmes n’est pas un problème public. Elles tendent à être prises en charge «comme» les hommes et à partager les lieux d’accueil et d’hébergement avec eux et en cela à être invisibilisées en raison de la concentration de l’intervention sur l’individu. Cette grammaire sociale a été favorisée par des politiques sociales qui insistent sur la dignité des personnes et l’individualisation de la relation d’aide. Néanmoins, on observe quelques arrangements entre les sexes, souvent situés à la marge des institutions, et visant particulièrement les femmes, considérées comme «vulnérables‍».

Inversement, dans le contexte québécois, l’itinérance des femmes est un problème public. L’analyse différenciée selon les catégories de sexe, utilisée dans d’autres politiques sociales, tend à prendre en compte les situations des femmes (Connell, 2014) et à proposer des réponses spécifiques qui participent à leur visibilité et à la reconnaissance de l’itinérance des femmes. Celles-ci reposent notamment et en premier lieu sur la non-mixité. Favorisée par les mouvements des femmes ainsi que par l’analyse structurelle des rapports de genre, cette règle constitutive de l’assistance reconnaît dès lors l’importance des violences envers les femmes ainsi que leurs conséquences en termes de vulnérabilités sociales. Dans ce cas, l’intervention se concentre sur les violences de genre, ce qui risque parfois d’engendrer par la même occasion une invisibilisation des autres problèmes vécus.

Notes

  1. Nous reprenons ici la distinction analytique proposée par West et Zimmerman pour appréhender la fabrique du genre. En effet, ces auteurs distinguent le «sexe» qui renvoie au sexe biologique «mâle» ou «femelle», les catégories de sexe «femme» et «homme» qui correspondent notamment à l’apparence physique des individus et au langage que nous utilisons pour les classifier. Enfin, le concept de genre englobe finalement les catégories de sexes et les dépassent puisqu’il est «un accomplissement, une propriété en cours de réalisation de l’action située […] il s’agit d’un faire situé, réalisé en la présence virtuelle ou réelle d’autres individus qui sont présumés être orientés en direction de sa production» (West et Zimmerman, 2009: 35).
  2. À l’exception des ressources pour jeunes et pour personnes âgées. Cette distinction mériterait d’ailleurs d’être analysée sous le prisme de l’intersectionnalité des rapports sociaux, dont l’âge semble être un élément déterminant.

Références

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