Arrimer les histoires

Le Service de l’adoption internationale a été créé en 2001 par Hélène Duchesneau (psychoéducatrice), Domenica Labasi (travailleuse sociale) et Mauricette Hakem-Bitar (infirmière clinicienne). Son mandat est régional mais, dans les
faits, il  dessert l’ensemble de la province car un seul autre service public semblable existe au Québec (CSSS de l’Ouest de l’Ile, site CLSC Lac Saint-Louis). Un service clinique et thérapeutique est offert.1

L’équipe propose aux parents des activités de groupe : en pré-adoption, en post-adoption, ainsi qu’un atelier consacré à l’attachement parent-enfant, un autre qui l’est au sommeil et à l’alimentation et enfin, un groupe de soutien. Pendant ces activités, des liens se créent entre les parents, qui échangent leurs courriels. Sont aussi proposées des consultations individuelles pour les soins de santé et le suivi psycho-social. Il arrive enfin que l’équipe travaille en concertation avec divers professionnels impliqués auprès de l’enfant, notamment des enseignants, éducateurs et médecins.

Les enfants, au moment de leur adoption, ont en général entre 8 mois et 10 ans (mais ils sont parfois plus jeunes, et plus vieux, jusqu’à 15 ans). Les familles suivies ont des enfants âgés de 0 à 18 ans.

Adopter un enfant, c’est devenir parent d’un enfant qui a un certain âge, un vécu (avec ses parents de naissance, en orphelinat ou en famille d’accueil), sa propre histoire de deuils et de ruptures.

Il arrive qu’un enfant pleure sans s’arrêter pendant les jours qui suivent son adoption ou soit complètement apathique. C’est qu’il est dans un état de choc et qu’il a perdu tous ses repères. Après une adoption, les enfants doivent en effet se recréer des repères car tout est nouveau chez leurs parents adoptants. Ce changement n’est pas seulement celui des adultes qui s’occupent de l’enfant. Il peut aussi être lié au chien dans la maison, aux odeurs, à la nourriture, par exemple. Ce bouleversement des repères entraîne chez eux de l’anxiété, de l’insécurité, qu’ils peuvent manifester soit en « protestant » (problèmes de sommeil ou colère par exemple), soit en se soumettant à tous les désirs de leurs parents, soit encore en leur étant indifférents. Nous outillons les parents à décoder le comportement de leur enfant, que celui-ci proteste ou, au contraire, présente un tableau « idyllique » (sourit à tout le monde, dort toute la nuit).

Certains enfants présentent des problèmes sensoriels lorsque, avant l’adoption, ils n’ont pas été suffisamment touchés, pris dans les bras, ou ont été confinés toute la journée dans de petits lits. Ces déficits de stimulation sensorielle peuvent se manifester, plus tard, par des hypo ou au contraire des hypersensibilités.

Construction identitaire

Lorsque les parents racontent à l’enfant son histoire, il est important qu’ils choisissent leurs mots avec précaution : par exemple, ne pas parler de « vrais » parents car cela sous-entend qu’il y en a des « faux », ni de parents « naturels », comme si les autres étaient « artificiels ». Il est préférable de parler de parents « de naissance » ou « biologiques ». Nous n’utilisons pas non plus le terme d’« abandon », mais plutôt ceux de « séparation » et de « geste de protection », les parents s’étant séparés de leur enfant pour le protéger. Nous insistons sur le fait que la séparation d’avec les parents de naissance représentait, pour ces derniers, la seule possibilité pour protéger leur enfant d’un contexte de vie difficile. Il serait, en effet, trop paradoxal de dire aux enfants : « tes parents t’aimaient tellement qu’ils t’ont laissé ». Utiliser une terminologie adéquate permet d’atténuer le sentiment d’abandon ressenti par l’enfant et l’aide dans son processus de construction identitaire.

Nous avons créé un cahier intitulé « Mon livre de vie » destiné aux enfants adoptés de 6 à 12 ans. Le livre présente une série de questions qui amènent l’enfant à se présenter ainsi qu’à décrire les environnements familiaux à sa naissance et à son adoption. L’objectif est que l’enfant élabore une idée de son identité en revisitant son histoire. À la fin du livre, il doit répondre à trois questions : qui suis-je ? Comment suis-je ? Qu’est-ce que je ressens envers moi-même ?

Attachement

Certaines stratégies peuvent être mises en place dès la première année de l’adoption des enfants pour réduire les risques qu’ils développent des problèmes d’attachement. Il est notamment fondamental de créer une enveloppe protectrice pendant la première année qui suit l’adoption. Parmi les conseils donnés aux parents pour les aider en ce sens, nous leur parlons du cocooning : pendant les trois premiers mois, particulièrement le premier, l’enfant est en lien principalement avec ses deux parents. N’étant pas « distrait », il s’attachera plus facilement à eux. Si, à l’inverse, la famille élargie est trop présente et que l’enfant entre en relation avec la tante, la grand-mère et le grand-père, il s’attachera un peu à chacun mais à personne en profondeur. Aussi, ce n’est qu’une fois que l’enfant entre en lien avec ses parents et accepte que ces derniers répondent à ses besoins que nous introduisons doucement et à petite dose les autres membres de la famille. Enfin, le cocooning, c’est aussi installer une routine et des rituels pour que l’enfant ait la possibilité de recréer ses repères.

Nous conseillons aussi aux parents d’anticiper les besoins de l’enfant afin de créer un sentiment de confiance. Les enfants adoptés ont souvent été privés de gratifications immédiates, quand ils étaient à l’orphelinat par exemple. Il faut donc créer ce sentiment de confiance en franchissant certaines étapes qui auraient été suivies avec un enfant biologique, par exemple donner le bain comme à un nouveau-né, même si l’enfant est plus âgé. Cela permet à l’enfant de comprendre que ses parents sont prêts à répondre rapidement à ses besoins. C’est un des pré-requis de la construction du lien d’attachement.

L’attachement, c’est aussi celui des parents, qui doivent être rassurés si les premiers temps de leur vie avec l’enfant ne correspondent pas à ce qu’ils attendaient, s’ils sont plus difficiles qu’ils ne l’imaginaient. L’attachement est un processus et il est important de se donner du temps pour que l’arrimage se fasse bien.

Âge affectif

Nous insistons beaucoup sur la notion d’âge affectif. Si, par exemple, un enfant a 18 mois et qu’il a été adopté à l’âge de 12 mois, l’âge affectif de cet enfant est de 6 mois. Il est conseillé aux parents d’ajuster leurs attentes en fonction de cet âge affectif, que ce soit en ce qui concerne l’autonomie, la sécurité affective, l’attachement ou même le sommeil. Cela n’empêche pas que, pour d’autres aspects, son développement corresponde à son âge chronologique. Par exemple, cet enfant de 18 mois peut très bien courir, sauter, parler comme un enfant de son âge, mais se réveiller plusieurs fois la nuit pour réclamer la présence de ses parents. Plusieurs pourraient être tentés de percevoir ces réveils comme une forme de caprice alors qu’il a en réalité besoin d’être réconforté comme un enfant de 6 mois.

Particularités

L’écart entre ce que les enfants connaissaient et leur nouvel environnement est plus important dans le cas des adoptions internationales que dans celui des adoptions nationales. Cela touche en particulier tout ce qui est sensoriel : les odeurs, la langue, la façon d’être touché. Parfois, les enfants arrivent en plein hiver, alors qu’ils viennent d’un pays chaud. Ils doivent porter des vêtements différents et des chaussures pour la première fois de leur vie. Certains dormaient sur des matelas de sol tressés, dans des pièces qu’ils partageaient avec d’autres, et ils se retrouvent seuls, dans un lit de bébé.

La question identitaire est particulière en ce que les enfants peuvent être différents de leurs parents et de la population qu’ils côtoient ici, de par leurs traits physiques. Il ne faut pas que les parents minimisent ces aspects car s’ils ne voient plus souvent cette différence physique, les enfants, eux, en ont conscience et doivent être outillés pour y faire face. C’est souvent lors de l’intégration à la garderie ou à l’école que l’enfant vit plus particulièrement cette différence. Une petite fille de 3 ans s’est mise un jour à pleurer soudainement. Ses parents étaient surpris, mais ils ont fini par comprendre quand elle leur a dit : « je suis la seule Chinoise à la garderie. Pourquoi suis-je la seule comme ça ? ». Un autre enfant a vécu une situation similaire lorsque sa mère est venue le chercher à l’école : ses camarades de classe lui ont dit « ce n’est pas ta vraie mère, ce n’est pas possible, elle ne te ressemble pas. » Enfin, les parents eux aussi font l’objet d’un regard particulier, d’une certaine curiosité, et sont quotidiennement questionnés, que ce soit au parc ou à l’épicerie.

Une autre particularité de l’adoption internationale est l’éloignement de la culture du pays de naissance. Les parents adoptants n’effaceront rien du tracé qui est déjà sur la toile ; ils ne pourront que l’enrichir. Il faut donc qu’ils soient ouverts à la culture de leur enfant et favorisent un rapprochement s’il en a envie, avec des cours de langue, de danse ou encore les fêtes culturelles.

Enfin, les enfants adoptés à l’international n’ont aucun lien avec leurs parents de naissance, ni même souvent d’information sur eux. Pourtant, l’adoption n’est jamais une relation dyadique (enfants et parents adoptants), c’est une trilogie qui inclut aussi les parents biologiques, même s’ils sont absents. Les parents adoptants doivent comprendre que la présence des parents biologiques, même symbolique, est essentielle.

Devenir parents

Pour la plupart des personnes adoptantes, l’enfant adopté représente leur première expérience comme parents. Ils sont alors confrontés, outre les défis spécifiques liés à l’adoption, à toutes les incertitudes que l’on a avec son premier enfant. Pour ceux qui ont déjà eu des enfants, le défi est de tenir suffisamment compte de l’anxiété des enfants adoptés, de leur âge affectif et de leur vécu antérieur.

Si la moyenne d’âge des parents au moment de l’arrivée de l’enfant se situe entre 35 et 45 ans, certains ont entre 45 et 55 ans en raison de la multiplicité des démarches en clinique de fertilité et/ou de la longueur des délais dans le processus d’adoption. Certains parents choisissent alors d’adopter des enfants plus âgés, ou bien qui présentent des problèmes de santé particuliers, ou encore des fratries, car l’attente est alors moins longue. Il faut toutefois être conscient que ces adoptions peuvent poser des défis encore plus grands.

Les parents adoptants ont, en moyenne, un niveau de scolarité plus élevé que la population en général. Cependant, tous n’ont pas des revenus très élevés et certains peuvent avoir des difficultés à payer les frais de l’adoption internationale (20 à 45 000 dollars, sans compter les séjours au pays de l’enfant, qui peuvent parfois durer plusieurs semaines). Certains font des emprunts. L’absence au travail en raison, par exemple, de ces séjours, peut également poser problème.  Ces aspects financiers et professionnels sont particulièrement aigus pour les parents célibataires. À ces derniers, on conseille de repérer au moins une personne significative dans leur réseau social qui pourra les aider. On peut aussi les mettre en relation avec d’autres parents adoptants que l’on connaît et qui pourront leur apporter un soutien.2

Après 10 ans d’existence, nous pouvons affirmer avec certitude qu’offrir des services adaptés au contexte de l’adoption internationale est primordial et s’inscrit dans un processus préventif, tant en ce qui a trait à la préparation qu’au suivi de la famille après l’arrivée de l’enfant et ce, aux différentes étapes de son développement. Nous considérons que tout parent devrait avoir au minimum une consultation individuelle avant d’adopter. Le défi principal de l’adoption étant l’attachement, notre objectif est de leur faire prendre conscience de la nécessité d’être sensibles au vécu de l’enfant, pour un arrimage le plus harmonieux possible entre leurs histoires respectives.

Selon notre évaluation, certains besoins criants demeurent, à ce jour, non comblés, particulièrement en ce qui concerne la mise sur pied de groupes thérapeutiques pour les adoptés. Un ajout de personnel pourrait permettre de pallier ce manque. Les idéaux ainsi exposés, il reste à voir ce que l’avenir réservera aux services offerts pour les adoptants et leurs enfants.

Notes

1 : Les parents qui nous contactent connaissent nos services par le biais : 1) des organismes agréés par le Ministère des services sociaux et de santé (MSSS) pour accompagner les parents dans leurs démarches administratives ; 2) du secrétariat de l’adoption internationale du MSSS; 3) du site web du CSSS Jeanne Mance ; du bouche à oreille : les parents adoptants sont très en contact les uns avec les autres, notamment par internet ; 4) des centres jeunesse : ils font l’évaluation psycho-sociale obligatoire pour tout parent adoptant. Il arrive qu’ils incitent fortement les parents à nous contacter, à l’issue de l’évaluation.

2 : Ce type de parrainage est aussi réalisé pour les parents qui adoptent une fratrie ou des enfants plus âgés.